Dans le cadre de la commission R2S Aménagement de la Smart Buildings Alliance, Sébastien Bergin (Brainybiz) et Sylvain Chapon (Engie) ont travaillé sur le sujet de la résilience numérique des territoires. Voici la restitution au 23/10/2020

1       Contexte

1.1     Définition

La résilience se définit par la capacité des individus, communautés, territoires, institutions et entreprises, à résister, s’adapter, à modérer l’impact et envisager la reconstruction – quels que soient leur niveau de gravité – des dysfonctionnements, stress chroniques et/ou les chocs ponctuels, aigües ou latents, prévisibles ou non, évitables ou non, auxquels ils sont confrontés.

La résilience consiste à s’attaquer aux causes profondes des crises tout en renforçant les capacités et les ressources d’un système afin de faire face aux risques, aux contraintes et aux chocs.

A ce titre on identifie prioritairement dans le cadre urbain et territorial – en plus du volet fondamental sûreté-sécurité –  la lutte contre la pollution atmosphérique, la prévention et l’adaptation aux effets du changement climatique, la lutte contre les risques d’étiage ou d’inondations, ainsi que l’amélioration des modes de gouvernance et la nécessaire coopération avec l’ensemble des acteurs et des territoires périphériques en particulier. 

Une ville résiliente est donc une ville mieux préparée aux chocs et dont les capacités d’en atténuer et d’en surmonter les effets ont été pensées en amont. La conception et l’organisation des équipements urbains y tiennent une place primordiale.

Ainsi de la prise en compte de certains de ces aspects dans les plans d’urbanisme (plan d’exposition aux risques et PPR, architectures adaptées, dispositifs énergétiques décentralisés réduisant les « effets domino », recherche de solutions numériques sécurisées (vulnérabilité aux cyber attaques, infrastructure télécom, datacenters …) et des risques sociaux (exclusion sociale) ou alimentaires : plusieurs modèles liés à l’économie circulaire, au « dernier kilomètre logistique, règles ACV,  notamment, contribuent à ces objectifs.

La pandémie mondiale du COVID 19 a mis en exergue la nécessité de se préparer aux risques et au chocs.  En effet, les retours d’expérience du « SRAS » en 2002-03, de la « Grippe A H1N1 » en 2009-10 et des modes de gestion du COVID19 apparu en novembre 2019, imposent une approche spécifique due à la résilience des territoires, et des écosystèmes en général. De fait, le risque pandémique se caractérise le plus souvent dans un premier temps par un « impact matériel direct » relativement faible sur l’activité concernée, mais il désorganise fortement les dispositifs et procédures nécessaires au fonctionnement normal.

La mise en œuvre de réponses et de palliatifs adaptés (télétravail, etc.…) implique une organisation spécifique et des moyens numériques et techniques garantis par une architecture et une cyber sécurité renforcées.

1.2     Périmètre

1.2.1    Infrastructure et environnement

Assurer la continuité des services essentiels, via la notion d’Opérateur d’Intérêt Vital, ou plus généralement les « Infrastructures critiques » dans l’acceptation anglo-saxonne, auxquels sont rattachés les « Plans de Continuité d’Activité »

Sur le plan européen, la Directive 2008/114/CE3 désigne : « un point, système ou partie de celui-ci, situé dans les pays membres, qui est indispensable au maintien des fonctions vitales de la société, de la santé, de la sûreté, de la sécurité et du bien-être économique ou social des citoyens, et dont l’arrêt ou la destruction aurait un impact significatif sur deux États membres au moins du fait de la défaillance de ces fonctions »

En France, on s’attache aux prescriptions applicables à environ 250 OIV – Opérateurs d’intérêt vital  (liste confidentielle) répartis en 12 domaines.

Leurs activités « concourent à la production et à la distribution de biens ou de services indispensables à l’exercice de l’autorité de l’Etat, au fonctionnement de l’économie, au maintien du potentiel de défense ou à la sécurité de la Nation.

Ces activités sont, par nature, difficilement substituables ou remplaçables »

On propose donc des Plans de Continuité d’Activité (PCA) afin de prévoir, le cas échéant de maîtriser le risque pour en limiter les impacts, rechercher un fonctionnement minimal ou garantir les conditions optimales d’un « retour à la normale »

On retient, en Europe et Amérique du Nord, ainsi que pour l’OCDE, les secteurs suivants :

  • La production d’électricité, transport et distribution ;
  • La production de gaz, le transport et la distribution ;
  • La production de pétrole et de produits pétroliers, de transport et de distribution ;
  • Les télécommunications ;
  • L’approvisionnement en eau (eau potable, eaux usées, eaux de surface) ;
  • L’agriculture, la production et la distribution alimentaire ;
  • Le chauffage (par exemple le gaz naturel, le mazout, le chauffage urbain) ;
  • La santé publique (hôpitaux, ambulances) ;
  • Les systèmes de transport (alimentation en carburant, le réseau ferroviaire, les aéroports, les ports, la navigation intérieure) ;
  • Les services financiers (banques, de compensation) ;
  • Les services de sécurité (police, armée).

En Suisse, état cité comme exemplaire en matière de résilience, on retient les : « infrastructures critiques qui garantissent la disponibilité de biens et de services d’importance capitale, comme l’énergie, la communication ou les transports. Les défaillances de grande ampleur géographique ont des conséquences graves sur la population et l’économie.

1.2.2    Encadrement et stratégie

Promouvoir un encadrement et une gestions efficace, via un travail préparatoire en amont : formation des équipes, mise en place de plan de coordination. Améliorer la collaboration entre les acteurs (autorités, exploitants) des différents secteurs pour diminuer la vulnérabilité en cas de défaillance.

Responsabiliser les parties prenantes devant assurer le « Plan de Continuité d’Activité », et accompagner les associations locales qui distribuent nourriture et services auprès des plus démunis.

1.2.3    Santé et bien être

Répondre aux besoins fondamentaux, et en premier lieux les besoins vitaux de subsistance et de protection : se nourrir, se vêtir, se reposer, travailler, se soigner

Prendre en charge les moyens de subsistance et d’emploi, c’est-à-dire permettre aux citoyens de pouvoir acheter de quoi vivre, via un salaire ou une indemnité 

Assurer les services de santé publique, tel que le fonctionnement des hôpitaux, vitaux en cas de crise

1.2.4    Économie et société

Rendre les communautés engagées et solidaires, en favorisant l’entraide de proximité, la bienveillance intergénérationnelle, le troc de services / denrées.

1.3 Enjeux

Créer un territoire qui protège ses occupants en cas de stress, ou chocs, et faire en sorte que le dysfonctionnement soit le plus modéré et le moins pérenne possible, et que son impact soit le plus restreint possible.

S’attacher à identifier les carences, dysfonctionnements potentiels, non évitables, et mettre en œuvre les moyens de « rebondir » :

Assurer un cadre de vie et de fonctionnement social axé sur la sécurité et le bien-être :

–           Un cadre de vie au sens le plus large qui garantit un accès satisfaisant, pérenne et partagé aux utilities, conditions d’habitat, de scolarité…

La cohésion sociale constitue un atout face aux crises.          

1.4 Indicateurs de performance de la résilience

– Stabilité de la population (effectif, santé, bien être)

– Développement de l’économie circulaire

– Développement de l’autonomie locale (énergie, eau, nourriture)

– Stabilité des prix de biens de première nécessité

1.5 Processus itératif de résilience

1.5.1 Anticiper

Prise en compte des vulnérabilités (croissantes / changement climatique) pour mieux y répondre.

Création d’un diagnostic pour établir une méthode et mettre en place des moyens (en particulier numériques) :

  • Simulation
  • Prévention (ex : métrologie pour la sobriété)
  • Plans de prévention, identifier les risques, s’appuyer sur l’histoire, la mémoire, la science et l’innovation (simulation numérique, 3d, bim, …), un cadastre efficace …

1.5.2 Prévenir

Conception et mise à jour continue d’un écosystème résilient :

ex : établissement de smartgrids (solution décentralisée) limitant les effets dominos d’un choc

ex 2 : concevoir et mettre en œuvre des chaines logistiques résilientes (alimentation, médicaments …) / économie circulaire, digues, capteurs, système d’alertes, de surveillance, action sociale, …

1.5.3 Gérer

Cellule de crise, plans “orsec” (organisation de la réponse de sécurité civile), plans de continuité d’activité, organisation et communication …

1.5.4 Rebâtir un avenir meilleur en tirant les conséquences de la crise

« La logique de « build back better » ou « reconstruire mieux » implique d’apprécier les enjeux afin de se préparer et d’anticiper les besoins d’amélioration des infrastructures, des systèmes, des moyens de subsistance et de réduire les facteurs de risque. Cette capacité d’adaptation est notamment basée sur l’apprentissage, elle est devenue la devise après l’ouragan Katrina en 2005 puis la tempête Sandy en 2012 à New-York, aux États-Unis. Ce cadre d’action est également issu de la déclaration de Sendaï de 2015, pour la réduction des risques de catastrophes, où l’objectif de se préparer pour reconstruire mieux est énoncé ».

2      Recommandations pour territoire numérique résilient

2.1     Résilience face aux crises

Face aux risques de stress et crises, il est nécessaire que les systèmes numériques contribuant à améliorer les fonctionnements de nos villes et territoires soient résilients. C’est à dire qu’ils puissent continuer à assurer un service (complet ou dégradé, suivant le niveau de criticité) dans un contexte « désorganisé ».

Pour assurer une résilience face aux crises, les critères à prendre en compte sont les suivants :

2.1.1    Énergie et autonomie

L’énergie a permis à nos sociétés modernes de se développer et notre système repose sur l’accès aux énergies. En cas de crise, les services vitaux de l’organisation de la cité doivent continuer à fonctionner, même sans énergie du réseau. Les capteurs, mais aussi le réseau de transport et les systèmes de traitement de données doivent donc disposer d’un mode dégradé, fonctionnant avec très peu d’énergie, probablement issue du photovoltaïque. Ce mode dégradé, en transitant moins d’informations, sera moins consommateur d’énergie, de bande passante, sans pour autant trop abîmer la pertinence des données.

2.1.2    Transport (de la donnée) au dernier kilomètre

Une information qui ne pourrait passer que par un seul chemin serait vulnérable. Utiliser un réseau maillé est nécessaire. C’est le principe du réseau IP, qui permet à une information d’avoir toujours plusieurs chemins possibles. Cependant, pour « atteindre l’utilisateur sur le dernier kilomètre », les opérateurs télécoms ont déployés chacun leur infrastructure sans fil. Il y a donc une multiplication des équipements, qui multiplie les coûts et l’usage des fréquences, mais surtout ne permet pas de redondance et donc pas de résilience pour l’utilisateur. Chaque utilisateur a un abonnement pour un seul 4 réseaux. Tout comme le modèle R2S du bâtiment incite à mutualiser les usages sur un même réseau IP, il semble intéressant que l’infrastructure sans fil du dernier kilomètre puisse disposer du service « roaming » sur le réseau voisin, en cas de rupture du réseau principal de l’abonné.

2.1.3    Réseau urbain autonome

Dans un réseau IP local d’entreprise, si on coupe l’accès internet, les ordinateurs continuent de travailler en local, pour imprimer, sauvegarder, envoyer des messages en interne.

Si on débranche les fibres optiques d’une ville, est ce que les habitants, les équipements urbains peuvent continuer à échanger entre eux, trouver de l’information locale ? Probablement non, car les serveurs d’authentification, les serveur DHCP (attribution d’adresse IP aux utilisateurs), les serveurs DNS (résolution de nom de domaine), les moteurs de recherches, sont centralisés dans quelques data-centers. Demander aux opérateurs télécoms ainsi que les acteurs internet estimés « vitaux » de disposer d’une redondance locale semble très pertinent pour une résilience de l’accès à l’information.

2.1.4    Hébergement et traitement de données

La tendance actuelle est à l’hébergement en plateforme cloud, comme nouveau modèle économique basé sur le péage par abonnement. En cas de crise nécessitant de garder certains services vitaux en route, il est nécessaire de penser à un hébergement et un traitement au plus proche de l’usage, c’est à dire dans les territoires et villes.

2.2     Résilience temporelle

Il semble aussi nécessaire que les systèmes numériques contribuant au fonctionnement de nos villes assurent une pérennité avec les années qui passent, et ne soit pas obsolètes lorsqu’une nouvelle technologie arrive ou inopérant à cause d’un monopole, changement climatique ou manque de flexibilité dans la conception. On parle alors de résilience temporelle.

Pour assurer la résilience temporelle, les critères à prendre en compte sont les suivants :

2.2.1    Infrastructure

R2S repose sur plusieurs principes :

  • La mutualisation des réseaux et équipements
  • La séparation en 3 couches (capteurs terrains / réseaux / services) afin d’éviter le silotage et sa conséquence, le monopole par un même acteur de la fourniture d’une solution puis de son exploitation

Ces principes sont également valables pour la ville, c’est-à-dire faire en sorte que :

  • Un réseau puisse servir pour différents usages (mutualisation)
  • Il n’y ai pas de multiplication des réseaux pour un même lieux
  • Il y ai une redondance d’interconnexion entre les territoires
  • Le réseau fonctionne sur un protocole ouvert (IP)

2.2.2    Matériel

– Choix de matériel auprès de fabricant n’ayant pas un monopole sur leur activité, et donc de risque de hausse de tarif inconsidéré, d’arrêt de fabrication

– Équipement extérieur capable de subir des conditions climatiques plus durs. On voit depuis 3 ans que chaque été est un record de chaleur par rapport à l’année précédente. Ce dérèglement climatique pourrait également apporter plus de brutalité dans les épisodes de précipitations.

– Choix d’équipements conçues pour être réparables, car même si le coût du matériel électronique a beaucoup baissé avec la mondialisation, les enjeux du commerce international sont en train de changer (taxes, relocalisation …), les ressources se raréfient, la gestion des déchets devient un problème important.

– Interface de dialogue entre machines (Application Programming Interface) pensée de façon à pouvoir évoluer (ex : un capteur de particules fines PM 2,5, pourra demain mesurer des PM 1 avec une mise à jour matériel, il faudra alors que l’API puisse évoluer pour transiter ce nouveau type de données)

2.2.3    Intégration

– Favoriser l’utilisation de solutions Open-source, celles-ci offrant une pérennité dans le temps, de par le code ouvert et pouvant évoluer à travers une communauté de développeurs.

– Choix et intégration de protocoles ouverts (libre d’usage, non dépendant de licence)

– Choisir des solutions dont la sécurité de fonctionnement et le traitement des données peut être garantie (par un tiers, par un code ouvert, par un hébergement local …)

– Favoriser le choix d’acteurs pérennes pour la mise en place : formé aux techniques de la smart city, local pour favoriser le maintien de l’économie proche tout en limitant la consommation de ressources

– Documentation de la conception, de la réalisation, de l’utilisation, le tout tenu à jour, stocké de façon sûr et pérenne dans le temps, partagé par les parties prenantes.

2.2.4    Services

– Choix d’opérateur des services n’ayant pas un monopole sur leur activité.

– Technologie de transport de l’information pertinente pour l’usage souhaitée et maintenue dans le temps.  Les capteurs de la smart city ont t’ils plus besoin d’un réseau bas débit, flexible et ouvert tel que Lorawan pour remonter des données de quelques octets toutes les 15 minutes ou de réseau très haut débit, tel que 5G, capable de transiter plusieurs giga octets en quelques secondes ?

3       Conclusion

L’apport du numérique dans le territoire peut être un outil complémentaire pour le mieux vivre des citoyens, l’accompagnement vers un monde moins carboné, plus résilient, plus supportable.

Cependant, si on n’y prend pas garde, le numérique peut également être source de nouvelles vulnérabilités, de nouvelles oppressions sur les citoyens, de nouvelles inégalités (complexité d’usage, sécurité des données …) ou tout simplement inutilisable car trop énergivore, trop vulnérable, trop centralisé, en temps de crise.